Guilhabert de Castres

Fanjeaux, centre du catharisme et de sa répression

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Fanjeaux, centre du catharisme et de sa répression

Fanjeaux, côté Nord

Le village de Fanjeaux se situe à l’Ouest du département de l’Aude en limite des micro régions du Lauragais, de la Piège et du Razès. Campé à 360m d’altitude au bord d’un plateau, qui domine le couloir de Castelnaudary à Carcassonne, il se trouve stratégiquement placé sur l’une des voies de communication reliant les Pyrénées à la Montagne Noire. Au XIIIème siècle le castrum a été un important foyer de l’hérésie cathare, le berceau de la prédication dirigée contre celle-ci, ainsi qu’un poste militaire croisé.

C’est aux alentours de l’année 1175 que la présence de cathares, est attestée à Fanjeaux. Aux environs de 1193 la Bonne Dame[1] Guillelme de Tonneins et son homologue masculin, Guilhabert de Castres sont établis dans la cité lauragaise. En ces temps favorables, la doctrine, étant de plus en plus partagée, le village devient une conséquente place de l’hérésie. Une décennie plus tard, en l’an 1204, le castrum sera le théâtre de la consolation d’ordination d’Esclarmonde de Foix et trois nobles dames de la région. En présence du comte Raymond-Roger et d’une nombreuse assistance, sa sœur et ses amies seront consolées par le charismatique Guilhabert de Castres. Toujours en cette même année, et toujours à Fanjeaux, Pierre-Roger de Mirepoix le père du futur chef militaire de Montségur en 1243-1244, gravement blessé lors d’une mauvaise rencontre recevra le Consolament des mourants, par le fameux hérésiarque, comme le nommait l’Église catholique. Cependant guéri, il reviendra au siècle et fêtera l’évènement en offrant un repas à tous les cathares revêtus de Mirepoix.

Inquiet depuis de longues années par la montée du péril cathare et faute d’avoir pu inciter le roi de France, Philippe-Auguste, à intervenir militairement dans le Midi, le souverain pontife donna son accord à la proposition de ses légats en Languedoc de lutter contre l’albigéisme par la prédication. C’est alors l’entrée en scène du chanoine Dominique de Guzman. Parti, avec ces compagnons en tournée en Lauragais, afin de prêcher à l’exemple des hérétiques occitans, il s’arrête à Fanjeaux à cause de mauvais temps et décide d’y passer l’hiver. Au cours de celui-ci (1206/1207) sera fondé avec l’aide de Foulques l’évêque de Toulouse, le monastère de Prouilhe (11) en réaction à la multiplication des maisons cathares dans la région.

Fanjeaux, vue aérienne du côté Sud (années 60)

Puis viendra la controverse entre Albigeois et catholiques, de Montréal (11) et son fameux « miracle du feu » dont nous vous expliquerons le détail dans une prochaine publication. Toutefois malgré, les prêches et l’agitation de ses envoyés, Innocent III constate que l’hérésie continue de prospérer et de s’enraciner en Languedoc.

C’est alors que l’assassinat du légat Pierre-de-Castelnau à Saint-Gilles (30) en janvier 1208, va donner au pape le prétexte au déclenchement de la croisade contre les Albigeois ; opération militaire, visant à éradiquer l’hérésie, qu’il appelait vainement de ses vœux depuis une dizaine d’années. Parmi les croisés français se trouvait un comte dont le nom deviendra tristement célèbre en Languedoc, Simon de Montfort. Ce dernier ayant pris la direction de l’ost croisé à la place du légat Arnaud Amaury, et après s’être emparé de la majeure partie de la vicomté de Carcassonne, marchera sur Fanjeaux, alors le plus haut lieu de l’hérésie cathare en Occitanie. Face à l’avancée de l’armée catholique, le castrum sera incendié lors de son abandon par la population ; l’illustre Guilhabert de Castres se réfugiant, en la circonstance, (une première fois) à Montségur. Fanjeaux, place stratégique, deviendra pour lors le quartier général du pourfendeur des hérétiques. À l’avenir, c’est à partir de la cité, idéalement située, que le condottière lancera, dans toutes les directions, maintes expéditions, et opérations militaires. Cependant le comte de Foix ne restera pas sans réaction aux prises de Simon de Montfort sur ses terres, et attaquera le castrum ; néanmoins, la place vaillamment défendue par la garnison française, malgré l’absence de son chef, restera aux mains de ce dernier. Le bourg recevra également des renforts en ses murs, preuve qu’il était une base arrière importante, voire à certains moments un refuge. Et c’est de celui-ci, le 10 septembre 1213, que Simon de Montfort part pour la ville de Muret, menacée par l’ost du roi Pierre II d’Aragon et ses vassaux occitans. Revenu vainqueur de la fameuse bataille, afin d’étendre politiquement sa toile par le jeu des alliances, il mariera alors à Carcassonne son fils Amaury avec Béatrice de Viennois. C’est frère Dominique venu de Fanjeaux, dont il était le nouveau curé, qui célèbrera les noces. La lutte contre l’hérésie, pour l’un par le verbe et pour l’autre par le fer, n’avait pas manqué de rapprocher les deux hommes. En 1218, le bourg verra son chevalier faidit, Pierre de Lahille, compté parmi les défenseurs de la ville de Toulouse alors assiégée. C’est au cours d’une attaque, lors de ce même siège, que « la pierre vint tout droit où il fallait[2] » tuant le chef de la croisade et libérant ainsi occitans et fanjuvéens de son joug. Dominique de Guzman perdant, à cette occasion, un ami, l’Église catholique romaine le généralissime de son armée. Après le second siège de Castelnaudary, vers 1222, les croisés ayant été récemment chassés de la contrée, Guilhabert de Castres devenu depuis peu évêque du toulousain, reviendra s’installer à Fanjeaux, preuve de l’importance de la cité pour l’Église interdite. Le bourg aura à ce moment-là, la particularité d’être le lieu de résidence d’un hérésiarque cathare, et le berceau de l’ordre des frères prêcheurs ou dominicains. Il va sans dire que n’ayant plus rien à craindre des troupes d’Amaury de Montfort alors en pleine déconfiture, nombre de Bonnes Dames et de Bonshommes s’empresseront de rouvrir leurs maisons, rendant à Fanjeaux sa place de haut lieu de l’hérésie. Ainsi du bourg reconquis, le catharisme — de par l’action de sa plus éminente personnalité —, Guilhabert de Castres, va rayonner plus grandement encore qu’avant l’arrivée des croisés. Toutefois cela ne durera guère. En 1229, après les croisades royales, le traité de Paris mettra fin à vingt ans de guerre, mais fera alors de la lutte contre l’hérésie, une priorité. En 1232, l’Inquisition devenant plus en plus menaçante obligera l’illustre Guilhabert à se réfugier, définitivement cette fois-ci, à Montségur. En 1233, le nom de Fanjeaux sera lié par le truchement de son bayle, à une étrange et sombre affaire qui se soldera par le bûcher (probablement à Toulouse) de quatre hérétiques revêtus, dont le Fils mineur Jean Cambiaire, arrêtés à Montségur ! Cette même année, sera appréhendé chez un habitant Fanjeaux, avec trois de ses compagnons, le futur évêque hérétique Bertrand Marty. Une rançon versée au bayle du comte de Toulouse, leur permettra de retrouver la liberté. Trois ans plus tard, puis encore au début de 1242, le castrum recevra la visite de Guillaume Arnaud et Étienne de Saint-Thibéry lors de leurs tournées inquisitoriales en Lauragais. Les registres de cette enquête ayant été perdus, nous ne savons rien des interrogatoires menés à ces occasions. Sur cette période, de treize années (1229-1242), sont attestées la présence de plusieurs dizaines de Bonnes Dames et de Bonshommes, la plupart lors de passages, ou de haltes de quelques heures. Cependant quelques-uns, les natifs de Fanjeaux ou des environs, à l’instar du diacre Pierre Bordier, avaient leur résidence peu près permanente dans la cité. Tous ces ministres étaient épaulés par des réseaux clandestins de croyants dévoués, sans qui la résistance à la pression inquisitoriale n’aurait pu durer ; à l’exemple d’un fanjuvéen qui organisa conjointement avec un habitant de Mirepoix, une collecte de dons auprès des croyants de la région, au profit des membres de l’Église albigeoise. C’était le temps où les prêches devaient être donnés et les Consolaments conférés dans le plus grand secret. Malgré tout, cela n’empêchera pas le catharisme de se maintenir à Fanjeaux grâce notamment au concours de la noblesse locale. On compte en Lauragais, sur une quinzaine d’années (1230-1245) — d’après les registres d’Inquisition —, les croyants par centaines, pour plusieurs dizaines de familles distinctes et de rangs variés. De sorte que quelques mois après la chute de Montségur, à Castres, une sentence inquisitoriale condamnera quatorze nobles dont plusieurs étaient de Fanjeaux, à la prison perpétuelle. Par une ironie du sort, Pons Gary, le collègue de l’inquisiteur Ferrer qui mena cette enquête, était lui aussi issu du castrum. Puis dans les années 1250, suite à la répression de plus en plus efficace de l’Inquisition, les rangs des Bonshommes finiront fatalement par se clairsemer. Les fuites en Lombardie, les arrestations, les abjurations, les peines de prison, les bûchers, auront tôt fait de vider le Lauragais et Fanjeaux de leurs hérétiques cathares, croyants et consolés. Comme beaucoup de lauragaises et lauragais, pour échapper à l’Inquisition et pouvoir continuer de croire en la parole des bons chrétiens, des habitants du castrum émigreront en Lombardie. C’est ainsi, que le Bonhomme Guillaume Tournier attestera de la présence de croyants du bourg installés à Crémone. Enfin, l’Inquisition ayant aussi œuvré en Italie, l’Église cathare occitane moribonde, n’est alors plus représentée en cette fin du XIIIème siècle, que par quelques Bonhommes et le Fils majeur Raymond Isarn, possiblement originaire de Fanjeaux, réfugié en Sicile.

Les murs et les ruelles de Fanjeaux sont les témoins des séjours et des passages de grands personnages dans la cité. Aucun autre bourg peut-être, n’aura autant vu d’éminents acteurs du drame cathare en son sein. C’est à ce titre que la visite du village s’impose. C’est l’un des sites majeurs de l’Histoire du catharisme occitan, auquel il faut obligatoirement se rendre.

© Bruno Joulia (2024)


[1] Les cathares revêtus, c’est-à-dire baptisés par la Consolation (Consolament) peuvent être appelés Bonnes Dames et Bonshommes. L’Inquisition les appelait Parfaites et Parfaits (Perfectus hereticus), c’est-à-dire hérétiques convaincus.

[2] Citation tirée de La canso, récit de la croisade vue du côté occitan.

Le catharisme hors des chemins touristiques traditionnels

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Le catharisme hors des chemins touristiques traditionnels

Guilhabert de Castres évêque cathare, au Pas de las Portas.

L’exposé qui va suivre comprend deux parties :
1/La localisation du lieu-dit «le Pas de las Portas»
2/Les réponses aux questions que ladite localisation entraine

L’épopée Albigeoise ; la topographie et la toponymie au service de son histoire

Essai de localisation du lieu-dit «le Pas de las Portas» (09)

Intrigué par le fait, révélé lors de mes lectures, qu’aucun auteur n’ait pu situer avec précision le lieu-dit «le Pas de las Portas», je me suis mis en quête d’élucider cette question.
Voici le résultat de mes recherches.
Devant l’impossibilité d’identifier un lieu-dit dont le nom ne figure plus sur les cartes, à savoir «le Pas de las Portas» lié à une étape dans la fuite de l’évêque cathare Guilhabert de Castres à Montségur en 1232, il m’a semblé pertinent de faire appel au tandem Topographie/Toponymie, pour tenter de retrouver ce site. La topographie venant confirmer la toponymie de l’époque et inversement.

Topographie défintion1:
1 Technique du levé des cartes et des plans de terrains. ➙ cartographie.
2 Configuration, relief (d’un lieu, terrain ou pays). Étudier la topographie d’un lieu.

 Toponymie définition2:

1 Ensemble des noms de lieux d’une région, d’une langue.
2 Étude des noms de lieux, de leur étymologie

 Les causes et première partie du récit de la fuite de Guilhabert de Castres à Montségur

 1/ Tout d’abord quelques dates

 – 1204-1206, quelques années avant la croisade, l’église cathare du Languedoc, sentant monter la menace, demande la reconstruction du castrum de Montségur à Raymond de Péreille.
– 1209, déclenchement de la croisade contre les albigeois.
– 1211-1219, séjour de Guilhabert de Castres au pog.
– 1229, Le Traité de Paris entérine la défaite de Raymond VII. Le concile de Toulouse instaure l’inquisition épiscopale. Louis IX donne la terre de Mirepoix au Maréchal de la Foi, Guy de Lévis.
– 1232, Mars, concile de Béziers, durcissement de l’inquisition épiscopale.
– 1232, Automne, Guilhabert de Castres et la hiérarchie cathare fait le choix de se réfugier à Montségur.

2/ Contexte

 Mars 1232, devant l’échec de l’inquisition épiscopale, qui n’a pas donné les résultats escomptés, un concile sera convoqué à Béziers. Celui-ci rappelera énergiquement à la population du midi, des nobles aux laïcs en passant par les clercs, que tous avaient fait preuve de permissivité et de manque de zèle dans l’application des canons concernant la répression des hérétiques édictés au concile de Toulouse en 1229. Une plus grande détermination et sévérité dans les poursuites seront exigées.

3/ La fuite de Guilhabert de Castres

Automne 1232, ayant constaté l’accuentation de la répression, Guilhabert de Castres, ainsi qu’une partie de la hiérarchie de l’église cathare, prendra la décision de se réfugier à Montségur. De la forêt de Gaja-la-selve (11), lieu de rassemblement des fugitifs, partira un convoi sous escorte, qui, par mesure de sécurité, cheminera de nuit. Après avoir contourné, en catimini, toutes les localités de la terre du Maréchal se trouvant sur son trajet, la petite troupe se présentera au Pas de las Portas.

4/ Les témoignages

Nous disposons de deux témoignages sur le déroulement de l’arrivée de Guilhabert de Castres et des hérésiarques cathares au pog:

Témoignage du sergent Guillaume de Bouan:

«L’évêque des hérétiques, Guilhabert de Castres, manda à Raymond de Péreille de venir à sa rencontre. Raymond de Péreille et moi même, Pierre Vinade, Pairol, Raymond Fabas, Bernard Cogot d’Asella et d’autres dont je ne me souviens pas, nous allâmes donc à la rencontre de ces hérétiques au Pas de las Portas. Nous y avons trouvé Guilhabert de Castres et bien trente hérétiques avec lui. Il y avait aussi avec eux les chevaliers Isarn de Fanjeaux, Raymond-Sans de Rabat, Pierre de Mazerolles et d’autres que je ne connaissais pas, qui les avaient amenés là. Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube. Quand ce fut l’aube, les trois chevaliers quittèrent les hérétiques et reprirent leur route. Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous conduisîmes Guilhabert de Castres et les autres hérétiques à Montségur et les fîmes entrer dans le castrum, où ils restèrent… »

Témoignage du sergent Bernard de Joucou:

«Une nuit, moi même, Raymond de Péreille, Bertrand de Bardenac, Bertrand du Congost, Guillaume de Bouan, et Bertrand Marty (il s’agit du bayle de Raymond de Péreille), nous sommes sortis du castrum de Montségur et nous sommes allés près de l’église Saint-Quirc au Pas de las Portas. Nous y avons trouvé Isarn de Fanjeaux et Pierre de Mazerolles avec plusieurs de leurs compagnons, dont j’ignore les noms. Ils avaient amené là l’évêque Guilhabert de Castres avec vingt autre hérétiques. Quand Raymond de Péreille eut reçu ces derniers, Isarn de Fanjeaux et Pierre de Mazerolles s’en retournèrent avec leurs compagnons. Raymond de Péreille, moi même et tous ceux avec qui j’étais venu, nous avons adoré les hérétiques, aprés quoi nous les avons escortés et les avons conduits jusqu’à Montségur…»

 Les localisations et suite et fin du récit de la fuite de Guilhabert de Castres à Montségur

1/ Localisation de l’église Saint-Quirc ou Saint-Cyr

Saint-Quirc = Saint-Cyr, c’est le même saint. Voici les éléments qui m’ont permis de localiser l’église Saint-Quirc

a/ Un extrait de l’opuscule suivant : Laroque-d’Olmes. Lacour, éditeur, place des Carmes – 25 bd amiral Courbet, Nîmes 1998. 24 pages.

Laroque-d’Olmes était jadis une ville dont la population est portée à dix-huit mille habitants (Berges). Elle était composée de quatre paroisses: Saint-Cyr, Saint-Pierre, Saint-Martin et Notre-Dame-du-Mercadal. On voit encore aujourd’hui des ruines des trois premières; la quatrième a été restaurée.
Ré-édition de l’oeuvre originale imprimée fin XIXe siècle. Auteur anonyme.

b/ Un extrait du site internet suivant : http://laroquedolmes.com/lesfermeslaroque.pdf

À la page 2 : 25 – chemin de Saint-Cyr ou Saint-Quirc dit «le chemin des moulins battants» actuellement rue Denis Papin longeant le Bézal.

c/ La carte par Sylvane Pomiès sur le site : https://www.pyreneescathares-patrimoine.fr/laroque_dolmes.php?
commune_id=5&ccPath=45&cbox_id=74

Sur le chemin de Saint-Cyr ou Saint-Quirc «dit le chemin des moulins battants» actuellement rue Denis Papin, on peut voir ce que j’ai identifié, après recoupement des informations, comme l’ancienne église Saint-Quirc à Laroque-d’Olmes. Photos n°1 et 2.

Il est à noter que je n’ai pas trouvé d’autre église Saint-Quirc ou Saint-Cyr, dans le Pays d’Olmes.

2/ Localisation du Pas de las Portas

 Revenons un instant vers les témoignages. Nous constatons que si les deux sergents citent un lieu-dit appelé le Pas de las Portas, seul Bernard de Joucou nous dit: «nous sommes sortis du castrum de Montségur et nous sommes allés près de l’église Saint-Quirc au Pas de las Portas.»
C’est bien sur lui qui nous met sur la piste…

Et nous pouvons voir sur la carte IGN classique du site internet Géoportail, qu’il existe un lieu actuellement appelé l’Entounadou (en français l’entonnoir), au sud de Laroque-d’Olmes. C’est un passage entre deux montagnes au milieu duquel coule le Touyre, et passe aujourd’hui la D625. Nous sommes devant un Pas.

Définition de Pas3 : Passage étroit et difficile dans une vallée, dans une montagne. Ou selon une expression plus imagée, une Porte.
Mais les sergents nous parlent d’un lieu appelé «le Pas de las Portas». Pas de las Portas = seuil DES PorteS.

Poursuivons notre reconnaissance en prenant la direction de Montségur par la D625, nous arrivons alors à environ 3 kms du premier seuil, à une seconde Porte, le Pas de Lavelanet.
Nous sommes donc, sur une courte distance, en présence de deux Portes.
Nos ancêtres qui n’avaient pas manqué de remarquer cette particularité topographique, avaient donc appelé, tout naturellement pourrait-on dire, le Pas se situant au sud de Laroque-d’Olmes, près de l’église Saint-Quirc, «le Pas de las Portas», ou en français le seuil des Portes.

3/ Le Pas de Lavelanet

Le Pas de Lavelanet à, pour caractéristique, d’être singulièrement étroit, environ 150m à l’endroit le plus resserré (mesuré sur le site internet Géoportail) et encore faut-il retrancher de cet espace entre les bases des montagnes formant la porte, la largeur du cours du Touyre (couvert sur environ 200 mètres au début des années 50, c’est aujourd’hui, l’esplanade ou l’espace de la Concorde), ne laissant, que quelques dizaines de mètres entre celui-ci et le castrum, pour permettre la circulation.
C’est un goulet sur le trajet le plus direct pour se rendre en haut Pays d’Olmes. Ne pas l’emprunter condamne à un long détour, d’où son importance. C’est pourquoi, avant la croisade, il était surveillé et commandé par un château.

Selon une étude de J.J. Pétris4, la ville de Lavelanet naîtra au pied d’un château fort appelé «Castelsarrasin» ayant appartenu au comte de Foix (détruit en 1212 par les croisés de Simon de Montfort, reconstruit à la Renaissance).
Toutefois malgré l’absence d’un château en 1232, on ne voit aucune raison à ce qu’il n’y ait pas eu, sur place, une garnison du Maréchal Guy de Lévis, pour contrôler ce lieu stratégique. 

4/ La demande de Guilhabert de Castres

Nous savons que Guilhabert de Castres, a résidé à Montségur entre 1211-1219, peut-être a-t-il fait, au cours de ce séjour, plusieurs allers-retours entre le pog et diverses destinations ? Toujours est-il qu’il avait connaissance, pour l’avoir traversé au moins deux fois (à l’aller en 1211 et au retour donc en 1219), de la particularité du passage de Lavelanet.
En considérant tous les éléments évoqués plus haut, est-il impossible de penser que l’évêque cathare ait demandé à Raymond de Péreille de venir le rejoindre au Pas de las Portas, afin qu’il l’aide à passer le dangereux goulet de Lavelanet ?
Évidemment non.

5/ L’arrêt à Massabrac et l’arrivée à destination 

L’obstacle de Lavelanet éludé, c’est alors l’heure d’un contre-temps sans conséquences…

Extrait du témoignage du sergent Guillaume de Bouan: «Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube.»

Après prospection photographique, toujours au moyen du site internet Géoportail, il me semble possible d’avancer raisonnablement que le castrum de Massabrac est aujourd’hui, le domaine de Bigot, sur le territoire de la commune de Bénaix (09).
Cependant…
On sait que cet ancien castrum se situe sur le territoire actuel de Bénaix, mais les données actuelles ne nous permettent pas de le situer exactement. En effet, plusieurs endroits sur la commune comprennent aujourd’hui des vestiges de murs. C’est notamment le cas des lieux-dits Bigot (propriété privée) et la Tour, près de Mandrau5.

Enfin l’arrivée au pog, toujours selon le sergent de Bouan:

«Quand ce fut l’aube, les trois chevaliers quittèrent les hérétiques et reprirent leur route. Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous conduisîmes Guilhabert de Castres et les autres hérétiques à Montségur et les fîmes entrer dans le castrum, où ils restèrent».

 Conclusion

1/ Nous constatons que les pièces du puzzle s’imbriquent parfaitement.
2/ Cette imbrication nous permet d’affirmer que :
a/ L’église Saint-Quirc de Laroque-d’Olmes est bien celle citée dans le témoignage du sergent Bernard de Joucou.
b/ «Le Pas de las Portas» se situe au lieu-dit appelé aujourd’hui l’Entounadou (l’entonnoir) à Laroque-d’Olmes/Dreuilhe.
c/ Guilhabert de Castres à demandé l’aide de Raymond de Péreille, afin de franchir ou d’éviter le Pas (ou la Porte) de Lavelanet.

Mais par où sont-ils donc passés ?

Tout d’abord, il faut rappeller la difficulté presqu’insurmontable de retrouver les chemins et autres sentiers du moyen-âge. Hormis le fait que certains ont «toujours» existé, car «évidents», beaucoup ont disparus. Il est moins ici question de retrouver leurs tracés que d’indiquer une «possibilité».
Les alternatives, pour se rendre du Pas de las Portas à Montségur sont:…

Le chemin de crête

Le chemin de crête du cirque de Dreuilhe/Lavelanet, menant de Laroque-d’Olmes à Lavelanet. Les cavaliers venant de Gaja (-la-selve 11) arrivent en toute logique, après avoir évité Mirepoix, Labastide de Bousignac et Laroque-d’Olmes, du côté Est du Pas de las Portas.Pour emprunter le chemin de crête du cirque, ils doivent donc traverser le Touyre et monter par la pointe de la montagne côté Ouest du Pas de la Portas (ou de l’Entounadou). Après avoir parcouru le chemin de crête bordant le cirque, en passant par les lieux-dits Coulassou, l’Oustalet, près de Tarthie, au cap de Coume, et sur la Soula de Bensa, le convoi arrive à la chapelle de Sainte-Ruffine (IXème siècle) se trouvant sur la hauteur Ouest du Pas Lavelanet. Il ne lui reste plus alors pour descendre qu’à suivre le chemin desservant ladite chapelle. Mais arrivée au pied de la montagne, au delà du Pas certes, mais quand même assez près du castrum, la troupe se trouve toujours du côté Ouest du Touyre. Elle est donc obligée de traverser une deuxième fois la rivière pour aller prendre le chemin de Montségur.

On conviendra que ce n’est pas le trajet le plus aisé ni le plus évident, pour éviter Lavelanet, d’autant plus, je le rappelle, qu’il s’effectue de nuit.
Même si ce sentier existait à l’époque, je pense que l’on peut raisonnablement écarter l’idée, que l’escorte de Guilhabert de Castres ait pu l’emprunter.

La traversée de Lavelanet

On pourrait imaginer la traversée de Lavelanet, avec l’aide de complices dans la garnison de la place. Cependant, on peut argumenter avec justesse que l’opération aurait été trop longue et compliquée à monter en si peu de temps. Je rappelle que Guilhabert de Castres et ses compagnons étaient en fuite ou tout du moins effectuaient un départ précipité exigé par le  contexte que l’on sait. Cette éventualité est, je crois, à mettre également de côté.

L’itinéraire qui mène du Pas de las Portas au plateau de Massabrac via L’Aiguillon

C’est le chemin le plus probant, celui qui semble offrir le moins de difficultés et être le plus sûr. Selon moi la colonne conduite par Raymond de Péreille est passée à l’Est de Dreuilhe et à emprunté (actuellement) le GR du Pays d’Olmes (allant de Dreuilhe à Ivry-sur-l’Hers) qu’elle va abandonner à peu près à mi-distance, pour «descendre» (en passant au ou près du  hameau de Canterugue ? existait-il à l’époque ?) par de petits sentiers vers Lesparrou. Puis de cette localité par un des chemins longeant les rives de l’Hers, soit par (actuellement) la D16 [rive gauche] ou par (aujourd’hui) le GR 7 B [rive droite] gagner le village de l’Aiguillon.
L’Aiguillon (381 habitants en 2020) n’ayant pas l’importance de Lavelanet ne devait très certainement pas être surveillé. Les moyens financiers de Guy de Lévis ne lui permettaient probablement pas d’entretenir une garnison, si petite soit-elle, dans chacune ou dans une majorité de localités de son territoire (qui en comprenait 79). De l’Aiguillon la petite troupe va alors suivre ou continuer sur le GR 7 B passant par le Pas de l’Écluse (ici pas de voie navigable, pas de canal)6, pour aboutir au Nord-Est du plateau de Massabrac (Bénaix n’existait pas encore [cité au début du XIVème siècle]) au pied du Pog. Là, arrivés sur le plateau, alors que le convoi allait prendre le chemin pour se rendre à destination, le sergent Guillaume de Bouan nous dit: «Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube.». Le diable se cache dans les détails, dans l’emploi de «nous allâmes – jusqu’à – Massabrac», ne peut-on voir l’expression d’un écart du chemin qu’avait prévu de prendre le guide ?. Le domaine agricole dont le nom actuel est Bigot se trouvant à l’Ouest du plateau, au-delà de deux sentiers montant à Montségur, ne peut donc être que le castrum de Massabrac.

La distance et le temps…

Nous savons que le convoi est parti des environs de Gaja (-la-selve [11]) pour arriver au castrum de Massabrac et que le trajet s’est effectué au mois d’octobre, à cheval et de nuit. À partir de ces éléments on va pouvoir calculer la distance et le temps pour la parcourir. À l’aide de l’instrument de mesure du site Géoportail de l’IGN (Institut Géographique National) j’ai pu relever les distances (en ligne droite et arrondies au kilométrage supérieur) suivantes:
Gaja-la-selve – Queille = 20Kms, Queille – Le Pas de las Portas = 9 Kms, Le Pas de las Portas – Lesparrou = 5 kms,            Lesparrou – L’Aiguillon = 2 Kms, L’Aiguillon – Bénaix = 4 Kms, Bénaix – Bigot/Massabrac = 2 Kms : Total: 42 Kms.
Je pense qu’il faut ajouter à ce résultat 21Kms (la moitié de la somme) en détours et sinuosités pour obtenir un kilométrage plus réaliste du parcours. Ce qui nous donne 42 + 21 = 63 Kms. L’allure au pas d’un cheval, généralement admise, est de 7 Kms/heure. Le trajet s’étant effectué de nuit, j’abaisserai celle-ci à 6 Kms/heure. Ce qui nous donne 63 Kms : 6 Kms/heure = 10,5, soit 10h30. Parti aux environs de 18 heures, voire plus tôt, de la forêt de Gaja-la-selve (la nuit tombe            assez tôt au mois d’octobre – le trajet s’est-il effectué au début ou à la fin du mois ?) le convoi a dû arriver, à Massabrac, aux alentours de 4h30 du matin, soit avant le lever du jour.
Ce qui est confirmé par le témoignage du sergent Guillaume de Bouan qui nous dit:

«Et ils y restèrent [les chevaliers] avec lui [Guilhabert de Castres] jusqu’à l’aube.».

L’itinéraire Gaja-Massabrac par le Pas de las Portas, l’Aiguillon et le Pas de l’Ecluse peut donc être parcouru à cheval dans l’espace d’une nuit.

Ensuite…

Il est à noter que l’itinéraire partant de Montségur et passant par le Pas de l’Écluse, l’Aiguillon, Lesparrou (et au-delà), sera celui suivi après 1232 par les Bons Hommes qui se rendaient, ou revenaient de tournées pastorales, en Lauragais.

Il comportait deux étapes: Queille (qui se situe au nord de Léran) et Gaja (-la-selve [11]).

Michel Roquebert nous dit à leur sujet: «Il faut dire que Gaja-ses maisons, mais aussi sa grande forêt, est avec Queille plus au sud, l’un des deux relais obligés entre le Lauragais et Montségur.» [Histoire des Cathares, éditions Perrin, collection tempus, 2002, page 361.].

Voilà bien l’indication que le Pas de l’Ecluse, l’Aiguillon, Lesparrou, la Bastide-sur-l’Hers, n’étaient pas surveillés, et donc à contrario que Lavelanet, lui, l’était. Sinon pourquoi les bons hommes auraient-ils suivi ce trajet ? Et si Lavelanet n’avait pas été surveillée, après l’avoir traversée, pourquoi passer par Queille plutôt que de continuer sur l’axe classique Lavelanet-Mirepoix ? Ce qui amène à la déduction suivante: le chemin qu’empruntaient les bons hommes depuis 1232, fut, et ce pour la même raison, celui suivi, une décennie plus tard, jusqu’à Gaja à l’aller et depuis Mirepoix au retour, par le commando de Montségur lors de l’expédition punitive dirigée contre le tribunal de l’inquisition alors à Avignonet-Lauragais (31).

Conclusion

La surveillance du Pas de Lavelanet est l’élément déterminant qui permet d’avancer que:

  • Le contournement de Lavelanet, depuis le Pas de las Portas par l’Aiguillon, et le Pas de l’Ecluse est bien l’option que choisit l’escorte de Guilhabert de Castres, parce qu’elle est la plus plausible.
  • Le résultat du calcul du temps mis pour effectuer la totalité du trajet confirme la possibilité du fait.
  • L’itinéraire suivit en 1242, par le commando de Montségur pour aller commettre son forfait, ne peut être que celui pris invariablement depuis dix ans par les bonshommes pour se rendre en Lauragais et en revenir, car c’est le seul possible.

JOULIA Bruno pour Rencontre cathare de la résurgence (© 2023)


1 – https://dictionnaire.lerobert.com/definition/topographie
2 – https://dictionnaire.lerobert.com/definition/toponymie
3 – https://www.littre.org/
4 – https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2F www.histariege.com%2Flavelanet.htm%23Approches%2520historiques#federation=archive.wikiwix.com&tab=url
5 – https://www.pyreneescathares-patrimoine.fr/benaix.php?commune_id=5&ccPath=33&cbox_id=39
6 – Pas de l’écluse est le toponyme déformé du Pas de la cluse : coupure encaissée perpendiculaire, dans une chaîne de montagnes. (Dictionnaire le Robert.)

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